Occupation de la Normandie par le docteur Soubiran
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Occupation de la Normandie par le docteur Soubiran
Normandie – 17 Juin 1940
André
Soubiran, J'étais
médecin avec les chars, journal de guerre
[Le lieutenant Soubiran
était affecté comme médecin auxiliaire
au 3ème Régiment
d’Auto-Mitrailleuses (3ème RAM). Le livre est un
journal de guerre, commencé en 1941 et terminé en
juin 1942, décrivant la Campagne du Régiment du 9
mai au 18 Juin 1940. Des difficultés de papier en
empêchèrent la publication jusqu’en
avril 1943. La Préface de Georges Duhamel et la
dédicace au Chef d’escadron Jacques Weygand, le
fils du Général Weygand, le firent interdire en
zone occupée par la censure allemande
jusqu’à l’attribution, en 1944, du prix
Théophraste Renaudot.]
[ …] A quinze heures, la brigade tout entière
revenait en position vers l’est pour barrer la route
à la progression allemande.
Le P.C. du régiment s’établit au
nord-est de La Ferté Macé, à
Saint-Georges-d’Annebecq, en point d’appui avec
deux batteries de 75.
Les escadrons Weygand et Rouzée prirent position
à Rânes, un peu plus en avant, avec une section de
75 et le peloton de chars de Maugey.
Un bataillon de dragons portés s’installa vers le
nord et le peloton Madelin tint l’axe La Ferté
Macé-Carrouges au sud.
Vers cette ligne d’îlots de résistance
on voyait de toute parts progresser les blindées allemandes
avec des fanions blancs. Entre leurs lignes d’acier
tournoyaient des détachements français errants,
déjà vaincus, des réfugiés,
fous de terreur, en multitude vagabonde, qui semblaient ne savoir
où aller, et la foule des prisonniers
désarmés et renvoyés, sans leurs
officiers, par l’adversaire. Une confusion extrême
régna ainsi, en dépit de laquelle des combats
acharnés eurent lieu jusqu’au soir, entre les
villages en feu et les chemins jonchés de cadavres.
Vers le sud brûlait Carrouges, où se battaient les
dragons portés du capitaine de Royère soutenus
par les chars de Madeline.
Entre Carrouges et Rânes, le lieutenant Dattez avec ses
dragons prenait à partie un détachement
porté allemand et l’anéantissait.
Devant Rânes, quelques dragons blessés au cours de
furieux combats à pied entre Vieux-Pont et Saint-Brice,
rendaient compte au capitaine Weygand de la présence sur le
lieu du combat d’une importante colonne
d’infanterie portée allemande qui semblait se
préparer à avancer.
Maugey reçut l’ordre de s’y porter avec
ses trois chars et de harceler cette colonne en agissant sur son flanc,
quand elle passerait à bonne distance.
Il s’approcha de la colonne, la repéra et, au lieu
de se maintenir à bonne portée et
d’agir de loin par le feu de ses canons, avec prudence, il la
remonta pour la surprendre par derrière.
Alors il se rua sur les camions à demi-blindés
bondés d’uniformes verts et
d’où venaient des chants. Presque à
bout portant il envoya son premier coup sur le camion le plus proche.
Touché en plein, tout sauta, dans une explosion de
métal et de chair qui s’éparpilla en
bouquet au milieu de hurlements.
Avant que les autres aient eu le temps de riposter ou de fuir, il
remonta la colonne, deux chars d’un
côté, un de l’autre, il la coupa, la
bouscula en tout sens, abattant à la mitrailleuse ceux qui
essayaient de s’échapper, crevant les
réservoirs, et, pour finir, il l’incendia
à coups de canon.
Lorsqu’il eut épuisé ses munitions, la
longue file des quarante camions n’était plus
qu’une chenille de flammes où grillaient des
cadavres, la route était obstruée pour longtemps
et le bataillon à jamais hors de combat.
Maugey n’avait même pas gardé un obus,
un chargeur, pour protéger son retour. Et, dès
qu’il eut refait sa provision de munitions, il repartit pour
un nouvel accrochage.
Cet après-midi, il fut encore
l’héroïque chef de peloton à
figure d’enfant, défiant la mort, ne demandant
qu’à se battre, ignorant la fatigue et la peur,
allant partout à plein cœur, plein
élan, pleine chance, symbole de la richesse de ces jours
où la fleur d’une jeunesse commanda
héroïquement avant d’avoir
commencé à vivre (*).
Cet après-midi du 17 juin, une fureur sacrée
anima le régiment. A aucun moment la violence de la bataille
ne s’épuisa, elle se maintint
jusqu’à la fin, rapide, farouche,
désespérée.
Cet après-midi il n’y eut plus de printemps, plus
de haies vertes, plus de ciel bleu, plus de murs
étoilés de roses. Il n’y eut plus
qu’un régiment jeté en avant,
déchaîné, hors d’haleine,
éperdu et fou, qui voulait combattre et combattre encore.
Il n’y eut plus que la bataille à un contre dix,
l’incendie et la mort à rendre au centuple pour la
France qui se mourait, assassinée !
Pendant cinq heures les auto-mitrailleurs, les dragons
portés avaient interdit toute avance sur le secteur qui leur
avait été confié.
Vers vingt heures arriva l’ordre de repli vers le sud-ouest.
Sur Rânes, l’ennemi tellement stoppé ne
réagit guère et le décrochage fut
facile.
Mais au nord-ouest, le bataillon Henriet avait lutté
farouchement sur ses points d’appuis. L’infanterie
allemande s’était collée à
lui, s’infiltrant de tous côtés,
résistant à chaque tentative de
dégagement, et le tenant sans cesse dans un
réseau dense de feu. Les dragons avaient eu de lourdes
pertes et c’est d’eux que nous vint le dernier
blessé de cette journée. Leur
décrochage ne put se faire qu’au prix de durs
combats.
Pour protéger notre repli et tenir La Ferté
Macé qui était au centre de toutes les routes du
pays, le peloton de chars Depret et le peloton moto Tunzini furent
désignés. Ils devaient garder à eux
seuls les issues de la ville et ensuite se porter chacun par un
itinéraire sur notre flanc gauche.
Ainsi cette après-midi du 17 juin, commencée sous
des ombres épaisses de souffrance, de
débâcle et de forces défaillantes, se
terminait sur un rayon de foi et d’espoir. […]
(*)
- Le sous-lieutenant Martin Maugey, déjà
cité à l’ordre de
l’armée en Luxembourg, captif depuis juin 1940, a
reçu à vingt ans la croix de Chevalier de la
Légion d’Honneur.
[L’unité
se replie à travers la forêt d’Andaine,
traverse Juvigny-sous-Andaine et La Baroche durant la nuit. Le
regroupement de la colonne a lieu à
Céaucé. Elle se dirige ensuite vers
Saint-Fraimbault, fin de l’étape de repli. Le
3ème RAM est fait prisonnier le 18 juin à
Saint-Fraimbault. Le véhicule sanitaire de Lieutenant
Soubiran réussit à
s’échapper et à gagner Nantes.]
André Soubiran, J'étais
médecin avec les chars... : journal de guerre
Première édition: Didier éditeur,
Paris, 1943. Prix Renaudot 1943
Extrait du chapitre Normandie
- 17 juin 1940
André
Soubiran, J'étais
médecin avec les chars, journal de guerre
[Le lieutenant Soubiran
était affecté comme médecin auxiliaire
au 3ème Régiment
d’Auto-Mitrailleuses (3ème RAM). Le livre est un
journal de guerre, commencé en 1941 et terminé en
juin 1942, décrivant la Campagne du Régiment du 9
mai au 18 Juin 1940. Des difficultés de papier en
empêchèrent la publication jusqu’en
avril 1943. La Préface de Georges Duhamel et la
dédicace au Chef d’escadron Jacques Weygand, le
fils du Général Weygand, le firent interdire en
zone occupée par la censure allemande
jusqu’à l’attribution, en 1944, du prix
Théophraste Renaudot.]
[ …] A quinze heures, la brigade tout entière
revenait en position vers l’est pour barrer la route
à la progression allemande.
Le P.C. du régiment s’établit au
nord-est de La Ferté Macé, à
Saint-Georges-d’Annebecq, en point d’appui avec
deux batteries de 75.
Les escadrons Weygand et Rouzée prirent position
à Rânes, un peu plus en avant, avec une section de
75 et le peloton de chars de Maugey.
Un bataillon de dragons portés s’installa vers le
nord et le peloton Madelin tint l’axe La Ferté
Macé-Carrouges au sud.
Vers cette ligne d’îlots de résistance
on voyait de toute parts progresser les blindées allemandes
avec des fanions blancs. Entre leurs lignes d’acier
tournoyaient des détachements français errants,
déjà vaincus, des réfugiés,
fous de terreur, en multitude vagabonde, qui semblaient ne savoir
où aller, et la foule des prisonniers
désarmés et renvoyés, sans leurs
officiers, par l’adversaire. Une confusion extrême
régna ainsi, en dépit de laquelle des combats
acharnés eurent lieu jusqu’au soir, entre les
villages en feu et les chemins jonchés de cadavres.
Vers le sud brûlait Carrouges, où se battaient les
dragons portés du capitaine de Royère soutenus
par les chars de Madeline.
Entre Carrouges et Rânes, le lieutenant Dattez avec ses
dragons prenait à partie un détachement
porté allemand et l’anéantissait.
Devant Rânes, quelques dragons blessés au cours de
furieux combats à pied entre Vieux-Pont et Saint-Brice,
rendaient compte au capitaine Weygand de la présence sur le
lieu du combat d’une importante colonne
d’infanterie portée allemande qui semblait se
préparer à avancer.
Maugey reçut l’ordre de s’y porter avec
ses trois chars et de harceler cette colonne en agissant sur son flanc,
quand elle passerait à bonne distance.
Il s’approcha de la colonne, la repéra et, au lieu
de se maintenir à bonne portée et
d’agir de loin par le feu de ses canons, avec prudence, il la
remonta pour la surprendre par derrière.
Alors il se rua sur les camions à demi-blindés
bondés d’uniformes verts et
d’où venaient des chants. Presque à
bout portant il envoya son premier coup sur le camion le plus proche.
Touché en plein, tout sauta, dans une explosion de
métal et de chair qui s’éparpilla en
bouquet au milieu de hurlements.
Avant que les autres aient eu le temps de riposter ou de fuir, il
remonta la colonne, deux chars d’un
côté, un de l’autre, il la coupa, la
bouscula en tout sens, abattant à la mitrailleuse ceux qui
essayaient de s’échapper, crevant les
réservoirs, et, pour finir, il l’incendia
à coups de canon.
Lorsqu’il eut épuisé ses munitions, la
longue file des quarante camions n’était plus
qu’une chenille de flammes où grillaient des
cadavres, la route était obstruée pour longtemps
et le bataillon à jamais hors de combat.
Maugey n’avait même pas gardé un obus,
un chargeur, pour protéger son retour. Et, dès
qu’il eut refait sa provision de munitions, il repartit pour
un nouvel accrochage.
Cet après-midi, il fut encore
l’héroïque chef de peloton à
figure d’enfant, défiant la mort, ne demandant
qu’à se battre, ignorant la fatigue et la peur,
allant partout à plein cœur, plein
élan, pleine chance, symbole de la richesse de ces jours
où la fleur d’une jeunesse commanda
héroïquement avant d’avoir
commencé à vivre (*).
Cet après-midi du 17 juin, une fureur sacrée
anima le régiment. A aucun moment la violence de la bataille
ne s’épuisa, elle se maintint
jusqu’à la fin, rapide, farouche,
désespérée.
Cet après-midi il n’y eut plus de printemps, plus
de haies vertes, plus de ciel bleu, plus de murs
étoilés de roses. Il n’y eut plus
qu’un régiment jeté en avant,
déchaîné, hors d’haleine,
éperdu et fou, qui voulait combattre et combattre encore.
Il n’y eut plus que la bataille à un contre dix,
l’incendie et la mort à rendre au centuple pour la
France qui se mourait, assassinée !
Pendant cinq heures les auto-mitrailleurs, les dragons
portés avaient interdit toute avance sur le secteur qui leur
avait été confié.
Vers vingt heures arriva l’ordre de repli vers le sud-ouest.
Sur Rânes, l’ennemi tellement stoppé ne
réagit guère et le décrochage fut
facile.
Mais au nord-ouest, le bataillon Henriet avait lutté
farouchement sur ses points d’appuis. L’infanterie
allemande s’était collée à
lui, s’infiltrant de tous côtés,
résistant à chaque tentative de
dégagement, et le tenant sans cesse dans un
réseau dense de feu. Les dragons avaient eu de lourdes
pertes et c’est d’eux que nous vint le dernier
blessé de cette journée. Leur
décrochage ne put se faire qu’au prix de durs
combats.
Pour protéger notre repli et tenir La Ferté
Macé qui était au centre de toutes les routes du
pays, le peloton de chars Depret et le peloton moto Tunzini furent
désignés. Ils devaient garder à eux
seuls les issues de la ville et ensuite se porter chacun par un
itinéraire sur notre flanc gauche.
Ainsi cette après-midi du 17 juin, commencée sous
des ombres épaisses de souffrance, de
débâcle et de forces défaillantes, se
terminait sur un rayon de foi et d’espoir. […]
(*)
- Le sous-lieutenant Martin Maugey, déjà
cité à l’ordre de
l’armée en Luxembourg, captif depuis juin 1940, a
reçu à vingt ans la croix de Chevalier de la
Légion d’Honneur.
[L’unité
se replie à travers la forêt d’Andaine,
traverse Juvigny-sous-Andaine et La Baroche durant la nuit. Le
regroupement de la colonne a lieu à
Céaucé. Elle se dirige ensuite vers
Saint-Fraimbault, fin de l’étape de repli. Le
3ème RAM est fait prisonnier le 18 juin à
Saint-Fraimbault. Le véhicule sanitaire de Lieutenant
Soubiran réussit à
s’échapper et à gagner Nantes.]
André Soubiran, J'étais
médecin avec les chars... : journal de guerre
Première édition: Didier éditeur,
Paris, 1943. Prix Renaudot 1943
Extrait du chapitre Normandie
- 17 juin 1940
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Situation géo. : Evreux
Loisirs : Math, histoire militaire, science, astronomie et météo!
Date d'inscription : 10/01/2006
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